lundi, 28 janvier 2019
 

Interview avec Dr Hani Mansour M. AL-Mazeedi : Paradoxalement, les normes halal desservent le consommateur

( عربي)

L’authentification des produits halal risque de changer de forme dans les mois ou années à venir, en France. Nous allons probablement passer d’une simple certification halal à une application d’une norme halal fortement sollicitée par les industries agroalimentaires françaises. Afin d’éclairer le consommateur musulman sur le sujet des normes halal, ASIDCOM a décidé d’interroger directement un expert international dans ce domaine, Dr Hani Mansour M. Al-Mazeedi.

Dr Hani Mansour M. Al-Mazeedi est actuellement chercheur à l’Institut du Koweit de recherche scientifique, et travaille dans le domaine des produits halal depuis plus d’une trentaine d’années. Il est notamment connu pour ses travaux sur les spécifications halal pour la nourriture, la cosmétique et la médecine (notamment autour de travaux de normalisation) . Il a reçu récemment un Halal Award 2009  [1] pour ses implications et ses réalisations pour l’industrie du halal (N’hésitez pas aussi à consulter sa page sur wikipedia (anglais)).


بسم الله الرحمن الرحيم

Au nom de Dieu le Clément, le Miséricordieux

ASIDCOM : Dr Hani Mansour M. Al-Mazeedi, chercheur à l’institut de recherche scientifique du Koweït, pourriez-vous vous présenter ?

Dr. Hani Mansour Al-Mazeedi : Je suis né au Koweït en 1954, et j’y ai étudié jusqu’au secondaire. En 1972, je suis parti aux Etats-Unis pour rejoindre l’Université publique de South Dakota, où je me suis spécialisé dans le domaine de l’industrie alimentaire. En 1979, j’ai rejoint Koweït City en tant qu’inspecteur alimentaire. Ensuite, j’ai été nommé contrôleur général des denrées alimentaires importées par voie aérienne, maritime ou terrestre. En 1984, je suis allé au Royaume-Uni et j’ai obtenu un diplôme de Docteur de l’Université de Londres sur le thème de la gélatine alimentaire. Et depuis 1993, je travaille à l’institut de recherche scientifique du Koweït au sein du programme de l’alimentation qui dépend du département de la biotechnologie, sous la direction du Dr Yousouf Ahmad Achaiji. Je travaille avec mes collègues à la mise en œuvre des projets de recherche scientifique concernant les contaminants et les méthodes de leurs détections dans les aliments. Ma première expérience en relation avec les aliments halal date de l’été 1972 à Buffalo dans l’Etat de New York, quand un étudiant Pakistanais m’a averti quant à l’existence d’extraits de porc dans certaines sortes de gâteau. J’avais à l’époque 18 ans, et c’est alors qu’a augmenté mon intérêt pour les études et les recherches sur la nature des ingrédients alimentaires.

ASIDCOM : Parlez-nous de l’évolution du halal ces trois dernières décennies…

Dr. Al-Mazeedi : Je n’exagère pas si je dis que je suis le premier à avoir essayé de commencer à établir une norme halal. C’était au mois de mai 1982 à Riyad au Royaume d’Arabie Saoudite, puis en septembre 1983 à Tunis. On a commencé à parler du halal dans les rapports du Codex au mois de décembre 1979 à Rome, quand la commission a décidé de rajouter le terme selon les lois et les coutumes du pays où est commercialisée la production, et de rajouter des données sur l’étiquette des produits, selon l’exemple de la date de production, telles que l’expression : « conforme aux exigences de la Shari’a islamique ». De même, en février 1982, à Colombo au Sri Lanka, on a demandé un cahier des charges spécifiques pour les étiquettes des produits à base de viande halal. Puis j’ai collaboré à l’établissement d’une norme halal avec l’ingénieur Badr ben Abid Assaad qui travaillait à l’époque à « Saudi Standards, Metrology and Quality Organization » en Arabie Saoudite et est maintenant expert en aliments au sein de l’Organisation des Aliments et des Médicaments en Arabie Saoudite.

ASIDCOM : Les normes mises en place jusqu’à aujourd’hui, sont-elles parvenues à prendre en considération l’intérêt du consommateur musulman et à préserver ses droits et son identité en tant que musulman ?

Dr. Al-Mazeedi : Bien sûr que non. Il n’existe pas, jusqu’à aujourd’hui, une norme halal règlementaire ; et si une telle norme existe, ses articles ne sont pas respectées en pratique. Nous trouvons que les lois régissant ce qu’on appelle le halal ne cessent de changer, et que l’intérêt actuel que porte le monde au halal est dû essentiellement à la volonté de protéger le commerce de l’occident et non pas à la protection du consommateur musulman.

ASIDCOM : Que pensent les autorités religieuses au Moyen-Orient de la question de l’étourdissement des animaux ?

Dr. Al-Mazeedi : Les avis sont variés, par exemple la norme halal du Conseil de la Coopération entre les Pays du Golfe Arabe interdit l’utilisation de l’étourdissement pour la volaille, ce qui implique une interdiction de l’abattage mécanique. Mais, paradoxalement, cette même norme permet l’utilisation de l’abattage mécanique. En effet, il a autorisé ce dernier parce qu’il ne sait pas que l’une de ses exigences est l’utilisation de l’étourdissement.

ASIDCOM : Quel est l’objectif de la création des normes halal ? Les transformateurs et les distributeurs de produits halal au Moyen-Orient sont-ils disposés à s’appuyer sur une norme halal établie par un organisme occidental ?

Dr. Al-Mazeedi : Comme je l’ai dit plus tôt, l’objectif de mettre des normes halal est de protéger le commerce des pays occidentaux, et c’est surtout le cas de la norme de l’OIC (Organisation of Islamic Conference) dont la direction appartient à la Turquie et qui est fortement biaisée en faveur des abattoirs des pays européens. Quant aux normes halal mises en place par les pays musulmans, elles ne sont qu’une forme de courtoisie pour protéger le consommateur musulman des interdits. La preuve de ceci est qu’on ne trouve pas d’efforts sérieux déployés de la part des pays musulmans pour assurer le suivi de ce dossier, leurs efforts n’étant que de l’encre posée sur du papier.

ASIDCOM : Le consommateur musulman au Moyen-Orient, est-il conscient de la pratique de l’étourdissement durant la production de la quasi-totalité des produits halal importés ? Quelle est sa position vis-à-vis de ces pratiques étrangères à notre religion ?

Dr. Al-Mazeedi : Il n’est ni informé ni conscient de ces pratiques. Le consommateur musulman au Moyen-Orient croit que l’étourdissement électrique ou toute autre méthode d’étourdissement utilisée dans les abattoirs en Europe, Amérique, Canada, Australie, Nouvelle Zélande, Brésil, Argentine et autres pays occidentaux sont des techniques pour l’abattage. Il ne sait pas qu’il s’agit de techniques d’anesthésie préalable à l’abattage et qui provoque souvent la mort de l’animal ou l’absence d’une possible survie avant qu’il soit égorgé. Il croit que la viande et les carcasses emportées chez lui ne sont pas issues d’un abattage avec étourdissement. Souvent, les commerçants lui font croire que l’abattage s’est fait manuellement, sans passer par une étape d’étourdissement. Par contre, des musulmans de confiance témoignent que l’opération d’étourdissement se transforme souvent en une opération de torture et une cause de mort pour les volailles.

ASIDCOM : Les méthodes d’étourdissement ont grandement attiré l’attention des scientifiques et des industriels en Europe. Cela a permis leur développement et la modernisation de leur utilisation en industrie ; alors que l’abattage rituel n’a suscité que peu d’attention, ce qui l’a rendu moins compatible avec les exigences de rentabilité des abattoirs modernes. Comment peut-on remédier à cette situation, alors que le développement exponentiel que vit actuellement le marché halal pourrait être une occasion de réussite de toute initiative développant et recommandant l’utilisation de l’abattage rituel ?

Dr. Al-Mazeedi : En Grande Bretagne, on met en place un abattoir compatible avec notre religion si tolérante, qui ne devrait utiliser ni les techniques d’étourdissement avant ou après abattage, ni l’abattage mécanique. Ce type de développement doit être encouragé et il faut demander aux exportateurs de viande d’abattre les animaux dans de tels abattoirs. Il y a aussi un grand manquement de la part des gouvernements concernant le soutien des efforts déployés pour développer les abattoirs d’abattage rituel et les rendre plus modernes.

ASIDCOM : Les minorités musulmanes en Europe subissent des pressions pour délaisser la pratique de l’abattage rituel sans étourdissement, pour des raisons purement économiques et xénophobes. Le Moyen-Orient est-il disposé à freiner ces pressions, en s’intégrant au marché de l’industrie halal et en employant le fait qu’il représente une grande partie des consommateurs des produits halal exportés par nos pays européens ?

Dr. Al-Mazeedi : Le consommateur musulman joue un rôle primordial pour presser les personnes qui le gouverne à répondre à ses exigences. Et puisque le consommateur musulman n’est pas conscient (de la réalité du marché halal), si nous voulons changer la situation, le travail doit commencer par les consommateurs.

ASIDCOM : Dr Al-Mazeedi, un dernier mot ?

Dr. Al-Mazeedi : Je veux dire que le travail sur ce sujet sensible et dynamique sera récompensé, Incha’Allah, et celui qui y œuvre atteindra son objectif, et nous sommes toujours à la recherche de personnes qualifiées et dynamiques pour y travailler, et je suis prêt à fournir tout ce que je possède d’informations pour servir ma religion. Vous pouvez me contacter par téléphone 0096597498500 ou par mail [email protected]

Interview réalisée par Hanen Rezgui pour ASIDCOM

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Contact Dr Al Mazeedi

Crédit photo : wikipédia


[1] The Halal Journal Awards 2009 (Award for Outstanding Personal Achievement in the Halal Industry 2009)

 
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