Audition ASIDCOM au SENAT
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Propos liminaires
Présentation ASIDCOM :
ASIDCOM est créée à Marseille en 2006 par Hajj Abdelaziz Di-Spigno. C’est suite à son pèlerinage à la Mecque. J’ai pour ma part rejoins la dynamique en 2007. Puis Je suis élue présidente en janvier 2012.
ASIDCOM est agréée par la préfecture du Nord depuis 2014 pour défendre les droits des consommateurs musulmans. Son activité est cependant nationale s’inscrivant aussi dans un réseau international de consommateurs musulmans.
Le livre « La République et le Halal » :
J’ai envoyé un exemplaire du livre d’ASIDCOM « la république et le halal » à Mme la présidente espérant que vous le compterez comme une contribution écrite à votre mission d’information.
Ce livre d’ASIDCOM, dont je suis l’auteure, expose l’histoire de l’abattage rituel musulman en France depuis la deuxième guerre mondiale. Il met la lumière sur la part de responsabilité de l’État au sujet des problèmes dont souffre la filière halal.
Ce livre s’inscrit dans le cadre des travaux d’investigation d’ASIDCOM sur la question du Halal en France.
Comprendre le Halal :
Le halal est une obligation et une liberté religieuse. C’est donc un droit fondamental. Ses rites constituent un culte musulman dont l’Etat est un garant. Le halal est indissociable de l’islam de France, l’islam en France ou encore l’islam français. Dans les trois cas le halal est défini à partir des textes scripturaires qui sont le coran et la sunna et est transmis par voie orale, écrite et se pratique de génération en génération.
Halal signifie licite. La recherche du licite est une obligation religieuse. Autrefois, dans le monde non industrialisé, cette recherche de licite concernait en particulier la source des biens. Est-ce une source licite comme le travail licite, l’héritage, un don… ou est-ce une source illicite comme l’intérêt, le vol, la corruption… par exemple le mot Tayyib signifie selon certaines interprétations du coran une nourriture achetée avec de l’argent licite.
A nos jours, cet effort de recherche de licite s’est élargi pour toucher des domaines qu’on ne pouvait pas imaginer, il y a 50 ans. Tous les produits alimentaires sont désormais concernés. Pour comprendre cette évolution, on peut prendre cet exemple. Il y a quelques mois une marque française spécialiste des légumes, sollicitée par des consommateurs, confirme que ses boites de conserve contiennent un taux de viande inférieur à 1%. C’est le minimum requis pour devoir indiquer un ingrédient sur l’étiquetage. Ce type de pratiques de l’agroalimentaire, poussent les consommateurs du bio et du halal et les végétariens à être de plus en plus attentifs à la traçabilité et la certification des produits alimentaires.
Les facultés du Halal :
L’étude de l’histoire de certains rites du halal en France montre qu’il a des facultés intéressantes pour le contexte français.
Sur le Plan social : D’abord le halal contribue à la diversité culturelle, ethnique, philosophique et religieuse de la France qui reflète un prisme d’arts culinaires et convictions alimentaires. Vivre ensemble est aussi manger ensemble.
Ensuite, le halal a une faculté fédératrice des responsables musulmans. Elle est illustrée par l’expérience de la fédération Tayyibat (1983-1985). Cette expérience est détaillées dans le livre d’ASIDCOM « la république et le halal ». Le projet Tayyibat a fédéré la quasi-totalité des associations musulmanes déclarées, excepté la GMP et les associations qui lui sont rattachées. Le projet de cette fédération visait à organiser le halal en France. Il était rejeté par le ministère de l’intérieur, en 1985, malgré sa pertinence et l’adhésion des industriels, du bureau de la protection animale, et de la Ligue Islamique Mondiale. Le seul motif avancé par le ministère de l’intérieur est un manque de représentativité de Tayyibat.
Les ministères de l’intérieur et de l’agriculture ont agréé en 1994 la GMP et en 1996 les deux mosquées de Lyon et d’Evry. Trois mosquées parmi environ mille à l’époque et 2500 aujourd’hui ont le même privilège, des pouvoirs similaires sans aucune distinction dans leur rôle au sein des communautés musulmanes et sur le marché halal. Ainsi, par ces agréments interministériels, la faculté de fédérer du halal est transformée en facteur de division.
J’ai moi-même constaté comment les effets de ce facteur de division ont pu être atténués quand les privilèges se sont sentis dernièrement menacés par la volonté des pouvoirs publics d’instaurer une norme halal séculière. Le halal ne serait plus donc religieux, et les agréments ne seront plus justifiés et les privilèges seront amenés à disparaitre. Le besoin de défendre l’essence religieuse du halal lui a redonné de nouveau sa faculté de fédérer. Ensemble les acteurs musulmans du halal y compris les trois mosquées ont pu se faire entendre en France, en Europe et dans le monde. Le projet d’une norme halal séculière du CEN dont l’AFNOR est membre vient d’être dissous, après 5 ans de travaux.
De même, dans ce contexte, le CFCM a pu jouer son rôle en fédérant les acteurs musulmans du halal pour reprendre les travaux sur son projet de charte halal.
Sur le plan économique : Puis, le halal possède des facultés économiques et financières. Sur le plan économique, d’abord, on peut remarquer l’effort d’innovation des jeunes musulmans sur le marché halal, alimentaire et autre. La motivation principale de ce phénomène est le besoin économique de travailler pour ces jeunes. Ces derniers rencontrent les mêmes difficultés que les autres français pour trouver du travail, auxquelles il faut ajouter la discrimination à l’emploi. Ensuite, sur le plan économique, il y a aussi la filière de viande halal. Cette dernière souffre encore des politiques allant à l’encontre des besoins et exigences des consommateurs musulmans. Je reviendrai sur ce point plus tard.
Sur le plan financier, il faut distinguer deux facultés du halal. La première est le financement de l’organisation, le développement et la recherche de la filière économique halal. Les mécanismes de ce financement se confondent avec ceux de n’importe quelle autre filière économique. Une part importante doit être assurée par les acteurs de la filière.
La deuxième faculté financière du halal rappelle son essence religieuse. Il s’agit de son potentiel pour financer la construction et la gestion des lieux de culte musulman en France. D’une façon générale, les associations gérantes des mosquées préfèrent un financement par les fidèles français. Les musulmans, quel que soit leur niveau de vie, cotisent et font volontairement des dons réguliers ou occasionnels à ces associations. Dans le cadre de cet autofinancement, les commerçants musulmans représentent des donateurs de poids pour les associations gérantes ou porteuses d’un projet de mosquée. Cela pour vous dire que les musulmans ne s’opposeront pas à l’instauration d’une taxe sur le halal pour financer les lieux du culte, si toutefois, autonomie des musulmans et transparence de la gestion des fonds sont respectées et garanties.
La solution la plus adéquate pour le prélèvement de la taxe nous semble aujourd’hui être un prélèvement au kilo au moment de l’abattage. Sa mise en application peut se baser sur des textes règlementaires existants. C’est l’arrêté du 28 décembre 2011 sur les conditions d’attribution d’autorisations de dérogation à l’étourdissement des animaux pour l’abattage rituel. Cet arrêté instaure un system d’enregistrement des commandes justifiant l’abattage rituel des animaux. Le rapport de la Mission commune d’information du sénat de 2013 sur la filière de viande en France et en Europe recommande aussi de « disposer d’un outil statistique abattoir par abattoir pour permettre de connaitre les tonnages abattus sans étourdissement et d’éviter les dérives ».
Ce financement des lieux du culte musulmans est attendu pour permettre la construction des mosquées, Mais surtout pour enfin valoriser et moderniser la contribution à l’éducation à la citoyenneté de nos enfants, par des dizaines de milliers de bénévoles musulmans. L’enseignement de la langue arabe et l’éducation islamique assurés par ces bénévoles sont un élément essentiel pour protéger nos enfants des réseaux radicaux.
Respecter l’autonomie des musulmans à se former et organiser le halal :
Le constat actuel montre que l’Etat veut normaliser le halal, normaliser les pratiques de l’Aid Al-Adha, former les sacrificateurs religieux musulmans sur le bienêtre animal, maintenir des agréments irréguliers pour l’habilitation des sacrificateurs religieux musulmans, définir l’abattage religieux à partir des pratiques industrielles, fixer par arrêté ministériel les méthodes d’étourdissement qui seraient compatibles avec l’abattage rituel, que des préfectures habilitent les sacrificateurs musulmans. De même, les forces de l’ordre peuvent assister les agents de la DDPP et les militants de la fondation BB, qui se rendent chez les familles musulmanes le jour de l’Aid, afin de verser de l’eau de javel sur les carcasses d’agneaux sacrifiés ou pour sauver ceux encore vivant. L’Etat voudrait que les musulmans achètent l’agneau de l’Aid en Grande surface…
Mais, puisque le Halal est religieux, l’Etat refuse de contrôler la traçabilité des viandes entrant sur le marché halal et refuse d’enquêter sur les pratiques trompeuses généralisés sur ce marché.
Pour justifier son immixtion dans la définition et le contrôle indirect du halal l’Etat a trouvé une astuce qui est fort de constater qu’il tente actuellement de généraliser à d’autre domaine. Pour justifier la normalisation séculière, on nous explique qu’il faut scinder le halal en deux parties ; technique et religieuse. Cette décomposition est aussi appliquée à la formation des sacrificateurs religieux et à celle des imams ; une partie laïque et une autre religieuse.
En 2008, notre association ASIDCOM a organisé une formation pour les pères de familles sur le sacrifice de l’Aid, sur les aspects règlementaires, sanitaires, bienêtre animal et spirituelle. 50 personnes se sont inscrites. La formation devait se dérouler dans une salle municipale rattachée à la maison des associations de Grenoble. Elle n’a pas pu avoir lieu suite aux pressions exercées sur la mairie par les ministères, via la préfecture, pour nous enlever la salle. Il y a eu une polémique à la veille de l’Aid.
Or un flash-back sur l’histoire du halal établit clairement que c’est la mainmise de l’Etat sur l’abattage religieux musulman qui a désorganisé les circuits de distribution du halal. Durant 24 ans de 1970 à 1994, les sacrificateurs religieux sont soumis à l’habilitation administrative. Durant cette période le marché halal est créé. Les circuits communautaires et familiaux sont donc remplacés par des circuits imbriqués dans les circuits conventionnels. Les musulmans ont perdu tout control de la traçabilité et de formation des sacrificateurs.
Toujours dans le cadre du besoin du respect de l’autonomie cultuelle des musulmans, notre association s’intéresse à la question de la représentation du culte musulman. Cette dernière a un impact direct sur certains droits des consommateurs musulmans.
Tout d’abord il faut reconnaitre qu’au niveau national le CFCM est mobilisé depuis 2008 pour établir une solution durable pour l’organisation du marché halal. Mais la tâche n’est pas simple. De nombreux obstacles retardent l’aboutissement de ses efforts. Parmi ces obstacles il y a :
Le monopole des trois mosquées pour habiliter les sacrificateurs religieux musulmans
Le régime totalitaire qui gère la GMP (voir statuts)
L’immobilisation du CFCM quand la GMP se trouve en tête
L’immixtion de l’Etat qui voulait imposer plutôt une norme halal séculière et son souhait d’orienter la définition du halal en fonction des pratiques industrielles
Par contre, au niveau local, il y a un sérieux problème de manque de proximité entre certains CRCM et les communautés musulmanes locales. Les membres des CRCM sont plus connectés avec leurs fédérations nationales mères. Or les consommateurs musulmans ont besoin d’un interlocuteur de proximité, notamment lors de l’organisation des fêtes religieuses familiales ou communautaires.
Par ailleurs l’instance de dialogue a travaillé sur la mise en place d’un guide de bonnes pratiques pour l’Aid. Or le ministère de l’intérieur a affirmé que cette instance n’a pas vocation à prendre des décisions concernant le culte musulman. Les responsables musulmans désignés par le ministère de l’intérieur pour participer à ce travail n’ont pas eu le courage encore une fois d’exposer les besoins réels des familles musulmanes. Ils ont plutôt creusé dans la jurisprudence musulmane à la recherche de dérogations pour transformer les pratiques des musulmans français, en fonction d’une règlementation calquée uniquement sur le modèle juif. Sommes-nous alors des musulmans dérogatoires en France. Non ! L’islam en France n’est pas un islam dérogatoire. L’islam de France est celui transmis par la première génération d’immigrés, puis développé par les suivantes selon leur compréhension des textes religieux dans le contexte français. Pour les fêtes religieuses, la priorité des familles musulmanes françaises est aussi de transmettre les rites à leurs enfants. Il est donc difficile que la grande distribution puisse répondre à ce type de besoin religieux.
Conclusion :
Il y a un constat général que les affaires des musulmans sont dispersés entre CFCM, les trois mosquées agréées, l’instance de dialogue, des personnalités qui se font porte-parole des musulmans français avec l’aide des politiques ou des médias. De même une partie de nos affaires sont maintenant déléguées à des institutions non musulmanes pour nous former. Ce constat montre clairement la mobilisation de l’Etat pour contrôler les affaires cultuelles musulmanes. Pour justifier sa politique, l’Etat n’hésite pas à instrumentaliser le halal, la formation des imams, le voile islamique. Pour nous musulmans, cette politique est le symptôme par excellence de manque de confiance mutuelle entre le terrain, les institutions musulmanes et l’Etat au sein d’une république que la devise est pourtant « liberté, égalité, fraternité ».